Samkhya

Publié le : 30 mai 2022

Sāṃkhya et yoga de Patañjali

Le Sāṃkhya, une des six écoles philosophiques orthodoxes indiennes qui a inspiré en partie la pratique du yoga. C’est ainsi qu’au Ve siècle de l’ère courante, Patañjali dans ses Yogasūtra, qui font autorité dans le monde du yoga indien. Ce qui donne à la pratique du yoga une base métaphysique inspirée de la théorie du Samkhya.

Samkhya (en devanāgarī: सांख्य ) terme sanskrit, est connu aujourd’hui comme une école de la philosophie indienne orthodoxe (āstika) ou plus particulièrement comme un des six darśana. Il a été codifié dans la Sāṃkhyakārikā composée au IVe siècle ou Ve siècle de l’ère courante par Īśvarakṛṣṇa. Le Samkhya est traditionnellement couplé au yoga de Patañjali systématisé dans les Yogasūtra, qui en sont l’aspect considéré comme pratique. Kapila, dont on sait peu de choses, est donné comme le fondateur du « système Sāṃkhya ». 

Le Samkhya se propose d’analyser rationnellement la réalité. De cette compréhension surgit la libération du cycle des renaissances (Saṃsāra). Qui est souffrance (duḥkha). Cette analyse de la réalité (c’est-à-dire non seulement le monde matériel, mais également son devenir) établit que de la rencontre, l’union entre le non-manifesté, unique, le pradhāna ou mūlaprakṛti, la nature originelle ou matière primordiale et l’une des monades conscientes. Le puruṣa (littéralement : « homme, mâle, personne »)se déploie le monde phénoménal. La prakṛti, en 23 autres principes (tattva) commençant par l’intellect. Buddhi, littéralement : « l’éveil » aussi appelé mahat, le grand, parce qu’il a une dimension « cosmique ». D’où provient le principe d’individuation ou égo (ahaṃkāra, littéralement : faiseur de moi). Duquel provient une double création : la pensée (manas). Les cinq facultés d’éveil (buddhīndriya ou jñānendriya), c’est-à-dire les cinq sens, et les cinq facultés d’action (karmendriya), c’est-à-dire la parole, les mains, les pieds, l’anus et les organes génitaux ; d’autre part les cinq éléments subtils (tanmātra) qui ne sont pas spécifiques, c’est-à-dire perceptibles comme objets des sens, sauf pour les dieux et les yogis. Les cinq éléments subtils créent enfin les cinq éléments grossiers (mahābhūta), lesquels sont spécifiques, c’est-à-dire perceptibles comme objets des sens.

Parmi ces principes, l’éveil (buddhi), le ‘faiseur de moi’ (ahaṃkāra) – principe d’individuation et de prétention – et la pensée (manas) constituent ‘l’organe interne’ antaḥkaraṇa, qu’on pourrait qualifier d’appareil psychique. Les principes allant de l’éveil aux éléments subtils forment l’entité subtile qui transmigre de mort en naissance, une âme en quelque sorte, qui serait toutefois distincte de la monade consciente, du véritable sujet, qui ne peut jamais être objet. Cette entité est appelée « corps subtil » (sūkṣmaśarīra) ou ‘phallus’ (liṅga), mot par lequel on désigne en logique un signe caractéristique duquel on infère le porteur du signe, le ‘signifié’ (ainsi la fumée est le signe de la présence du feu). L’éveil est également appelé ‘le grand’ (mahat) parce que certaines écoles Sāṃkhya le considèrent comme commun aux puruṣa.

Si ce n’est pas le cas, il est tout au moins antérieur au principe d’individuation, ‘le faiseur de moi’ (ahaṃkāra), et il est en ceci cosmique qu’il détermine la ‘création idéelle’ (pratyayasarga), qui le positionne dans la création (voir plus bas dans « L’éthique du Sāṃkhya »). C’est à la fois la force et la faiblesse du Sāṃkhya que de présenter la création tant sur un plan psychologique que cosmologique. Il s’agit in fine d’expliquer aussi bien comment le monde, tant intérieur qu’extérieur se produit à la conscience, que comment le Karma (la loi de rétributions des actes lors des renaissances) s’organise, permet l’expérience (la jouissance, bhoga) aussi bien que la délivrance.

Un autre point particulier au Sāṃkhya, est que la prakṛti est constituée de trois guṇa, trois fibres ou qualités appelées sattva, rajas et tamas, dont est tissé le monde. Celui-ci n’est pas simplement noir (tamas) ou blanc (sattva), il est aussi rouge, mouvant (rajas). Il n’est pas seulement agréable (sattva) ou désagréable (rajas), il est aussi déprimant (tamas), bien (sattva), mal (tamas) ou passionné (rajas)

Contrairement aux cinq autres darśana, le Sāṃkhya classique ne repose pas sur un sūtra, mais sur une kārikā, la Sāṃkhyakārikā. Comme les sūtras, les kārikās sont des textes très laconiques (toute répétition, chaque mot inutile sont considérés comme une faute) et mnémotechniques, quasiment incompréhensibles sans les commentaires qui les accompagnent. Les kārikās, versifiées, sont toutefois plus littéraires et moins cryptiques. Au XVe siècle un Sāṃkhyasūtra sera écrit, visant à « védantiser » le Sāṃkhya, védantisation qui s’était déjà amorcée au Xe siècle avec le commentaire : Sāṃkhyatattvakaumudī de Vācaspati Miśra.

Le sāṃkhya classique systématique et canonisé n’est naturellement pas apparu soudain. Il s’est formé d’idées éparses, d’un mode de pensée et d’une recherche de la vérité qui l’a d’abord emmené sur des chemins théistes, décrits ci-dessous, pour développer une philosophie à l’épistémologie et la logique solide avant d’être assimilé de nouveau par diverses religions et philosophie, perdant par là même son autonomie.

Le Sāṃkhya visant à la libération complète du cycle des renaissances (saṃsāra), l’éthique n’est pas sa vocation première. Celle-ci fournit toutefois les conditions préalables à une vie et un esprit emplis de sattva. C’est-à-dire lumineux, sans taches (tamas), ni passion (rajas). L’éthique Sāṃkhya subordonne les devoirs religieux/sociaux à l’intelligence et la recherche de la libération. Ce qui lui permet de faire avancer la morale, en s’émancipant de la tradition et renonçant par exemple à la violence du sacrifice animal . Le devenir moral de l’individu est décrit dans les kārikās et considéré comme une création de l’intellect (buddhi, ou « grand » mahat), La création idéelle (pratyayasarga).

Cette ‘création idéelle’ l’oriente selon huit pôles : «  s’il est ‘vertueux’, c’est-à-dire s’il accomplit ses devoirs (dharma, religieux/sociaux). Il monte (dans la hiérarchie des êtres) ou il descend s’il n’est pas vertueux. S’il est doué de ‘souveraineté’, c’est-à-dire de pouvoirs (force dans la sphère animale, pouvoir dans la sphère humaine et pouvoirs magiques dans la sphère céleste). Il ne rencontre pas d’obstacle, ou le contraire s’il n’en a pas. S’il est ‘passionné’, il meurt et renaît sans cesse, à moins qu’il ne soit  détaché, auquel cas il se dissout dans la prakṛti (ce que font les « yogis » mais qui ne constitue pas la libération selon le Sāṃkhya). Enfin, il s’enchaîne s’il ne possède pas la connaissance ou il se libère s’il possède le savoir. Ce savoir est essentiellement, bien entendu, la connaissance pratique de la philosophie Sāṃkhya. Qui doit aboutir à ce que le puruṣa comprenne qu’il n’est pas la personne qu’il croit être, qu’il est pure conscience, et cesse de s’identifier à son appareil psychique). »

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