« Les temps nouveaux déplaçaient l’homme, lui enjoignaient de circuler et le mouvement constituait la caractéristique première de l’organisation des sociétés. Au village-monde, chacun attendait son tour pour la valse musette. La bonde avait été ouverte, le courant augmentait, nous étions le limon d’un fleuve en crue. Il arrachait les berges, se nourrissait d’un matériau de plus en plus mobile, et dont chaque élément paraissait remplaçable par un autre que lui. Oui endiguerait l’Amazone ?
Les historiens avaient inventé des expressions pour classer les époques de l’humanité ; l’âge de la pierre, l’âge du fer, l’âge du bronze s’étaient succédé, puis les âges antiques et féodaux. Ces temps-là étaient des temps immobiles. Notre époque consacrait soudain un « âge du flux ».
Les avions croisaient, les cargos voguaient, les particules de plastique flottaient dans l’océan. La moindre brosse à dents faisait le tour du monde, les petits Normands partaient au djihad pour poster des vidéos sur YouTube. Les hommes dansaient sur l’échiquier. Ce tournis avait même été érigé en dogme. Une culture se devait à la circulation et aux contacts si elle voulait une chance de se voir célébrée. L’ode à la «diversité», à l’« échange », à la « communication des univers » était le nouveau catéchisme des professionnels de la production culturelle en Europe. La crise de parkinson de l’Histoire portait le nom de mondialisation. La traduction de ce phénomène dans nos vies quotidiennes mettait à notre disposition fruits et légumes tropicaux dans l’épicerie la plus modeste d’une campagne en marge. Une question venait alors : pourquoi n’acceptait-on pas qu’un voleur de pommes s’introduise dans un verger et pourquoi permettait-on à une mangue du Brésil de trôner dans une épicerie de l’Ardèche ? Où commençait l’infraction ?
Comme la planète était promue théâtre de la circulation générale des êtres et des marchandises, par contrecoup les vallées s’étaient vu affliger de leurs grand-routes, les montagnes de leurs tunnels. L’« aménagement du territoire » organisait le mouvement. Même le bleu du ciel était strié du panache des longs-courriers. Le paysage était devenu le décor du passage. La ruralité s’instituait en principe de résistance à cet emportement général. En choisissant la sédentarité, on créait une île dans le débit.Extrait de « Sur les chemins noirs » de sylvain Tesson, 2016
Comme une forme de résistance, un arrêt provisoire dans cette fuite ininterrompue du temps. Arrêter volontairement de courir après le temps et non pas l’interrompre, course perdue d’avance, mais au moins de le ralentir. Laisser la chance à l’ennui dans la posture afin de déposer quelque chose de nous-même, d’abandonner cette volonté de faire et laisser faire. Faire ou être, à force de faire nous ne sommes plus. Le flux, toujours ce fameux flux s’installe dans les sensations internes, pratyahara, la cinquième pétale du yoga de Patanjali. Le flux d’extérieur devient un enjeu intérieur.
La pratique s’intériorise. La posture est tenue, les sensations sont plus vives, le coeur bat intense, les liquides du corps sont une autoroute, le moindre mouvement est perçu et amplifié. Les pensées se heurtent dans tous les sens pour se calmer avec la régularité de la respiration. Laissons la chance aux trois gunas de s’harmoniser, nous sommes tout à la fois, actif, passif et lumineux dans la détente et l’alignement du corps, de l’esprit et de l’âme. La vacuité de la posture est là, dans le moindre interstice de la sensation corporelle. Acceptation de celle-ci, fin de la lutte, sensation de lumière et d’un corps uni.
Affirmation clichée que j’entends de plus en plus souvent. Pour rappel le vinyasa est une des modalités du Iyengar et de toute façons de tous les yoga posturaux. C’est une méconnaissance, un prêt à penser que d’affirmer que le Iyengar est un yoga « statique ». Affirmations qui nuisent à l’école qui a perdu de sa superbe depuis les années 70 où il était « le style » le plus pratiqué sur la « West Coast » américaine, le lieu comme chacun.e sait que la mode à l’échelle mondiale s’y fait et s’y défait. Le « vinyasa » où plutôt le yoga flow a détrôné le style Iyengar. La montée du « flow yoga » a été fulgurante et correspond à la propagation du Fitness et des salles de Fitness. Sport « prêt à porter » en salle, pas compliqué, facilement consommable avec pour certaines salles la plus value « fun ».
Cette plus value fun qui s’est doucement emparée du yoga, cette discipline millénaire et un peu tristounette. On y a rajouté de la pop culture, legging fluo et musique d’ascenseur transcendantale avec un soupçon de sex positive attitude. L’économie se mondialisait, le crédo était celui du mouvement qui s’accélère. La pratique de l’ashtanga y a explosé, mais trop demandant, pas assez commercialement disponible, est dès lors apparu les versions soft et plus accessibles de celui-ci. Longue liste de yoga flow, hatha yoga flow, hot flow, animal flow, yoga danse, warrior flow, etc.
Nous ne sommes plus dans ce monde du flux, de l’internet, du voyage immédiat. Je vous dirais que l’harmonie délicate que propose le Iyengar dans cet équilibre entre pratique posturale statique et en mouvement, est de moins en moins entendu. Nous sommes dans l’immédiateté, et il est devient de plus en plus difficile de dire aux participants d’un cours, qu’il est préférable de pouvoir se tenir correctement debout avant de s’attaquer à des postures de hand et head stand.
Je vous dirais superficiellement que c’est dommage de ne pas aller plus loin qu’une idée reçue de l’Iyengar. Il n’y a pas que les « postures fixes » en Iyengar…Il y a comme dans tout yoga postural, du vinyasa. Les cours sont à prendre comme du solfège. Le solfège est nécessaire si vous voulez jouer de la musique classique avec harmonie et spiritualité. .A vous par la suite de créer votre séquence en « dynamique » et il y a beaucoup de possibilités. Pour vous en convaincre allez sur You Tube, et cherchez Carrie Owerko toute sa série Stability Mobility Playground…
Si vous cherchez à plus chanter des mantra et une spiritualité plus facile d’accès, je vous conseille le yoga kundalini. C’est vrai que le Iyengar est exigeant, demande de la patience et du temps, mais n’en est pas moins spirituel. Je dirais que les principes d’alignement corresponde à une architecture du corps métaphysique. Je vous rappelle que les indiens ont inventés le zéro et sont des très grands mathématiciens…
C’ est à cela que fait référence le yoga Iyengar. Les temples indiens sont d »une architecture précise calquée sur la géométrie astronomique, même vision du corps dans le yoga et particulièrement chez Iyengar qui était très religieux ( sans l’imposer à qui que ce soit…) . Paschimottansana ( par exemple ) est l’étirement de l’ouest, zone métaphysique de l’inconnu et de cette partie inconsciente de la conscience. Le corps, l’esprit, l’âme ne sont pas des entités séparées mais doivent être alignées à partir de ce qui est le plus tangible, le plus facilement ressenti, c’est à dire le corps.